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Voici une nouvelle série de 5 questions que se posent beaucoup d’investisseurs - par le Professeur Mikael Petitjean

<b>Voici une nouvelle série de 5 questions</b> <b>que se posent beaucoup d’investisseurs</b> - par le Professeur Mikael Petitjean
11/05/2020

Voici une nouvelle série de 5 questions que se posent beaucoup d’investisseurs et auxquelles a répondu notre Chief Economist, le Professeur Mikael Petitjean (UCL & IESEG). Nous continuerons à vous informer au fur et à mesure de l'évolution de la situation.

1. Les cours boursiers semblent de plus en plus influencés par les décisions des banques centrales, et plus particulièrement par celles de la BCE (Europe) et la Fed (USA). Quel est le rôle actuel des banquiers centraux ? Pourquoi leurs interventions sont-elles tellement attendues par les investisseurs ? Les instruments utilisés par ces banques centrales pour gérer la crise du Covid-19 sont-ils les mêmes que ceux utilisés lors de la crise des « subprimes » en 2008?

Le rôle des banques centrales a été déterminant. Plus l’endettement public et privé gonfle, plus les banques centrales gagnent en puissance car elles ont aujourd’hui la possibilité d’acheter une plus grande diversité de titres financiers que dans le passé. Tous les verrous ont sauté depuis 2008. Les banques centrales ont choisi délibérément de gonfler leur bilan pour limiter l’impact que les crises de 2008 et du Covid-19 auraient pu avoir sans leur intervention, en utilisant un arsenal d’instruments plus vaste qu’en 2008. Elles ont également agi différemment. Etant donné le niveau particulièrement bas des taux qui prévalaient déjà avant mars, en particulier en Europe, elles n’ont pas pu baisser les taux d’intérêt comme elles avaient pu le faire il y a 10 ans. Les banques centrales ont dû injecter des liquidités dans le marché à une vitesse jamais vue auparavant, en particulier aux Etats-Unis. En l’espace de quelques semaines, la Fed a injecté autant de liquidités qu’elle en avait injectées durant toute la crise financière de 2008-2010. Et c’est loin d’être terminé. Les montants sont vertigineux. En fait, la Fed est en train de redéfinir le rôle même des banques centrales. C’est du « tous azimuts ». Les banques centrales rachètent même des titres de dette émise par des entreprises fort endettées. Dans ces circonstances, personne n’ose vraiment se battre contre les banques centrales en misant sur l’effondrement des cours. Les banques centrales ont des moyens quasiment illimités. La seule contrainte est la perte de confiance dans la monnaie. Depuis l’inflation galopante de la fin des années 1970, les « collapsologues » (= ceux qui craignent un effondrement de notre civilisation) prédisent l’écroulement du dollar, tout comme ceux qui prédisaient la récession aux Etats-Unis il y a déjà cinq ans. En tout cas, ce ne sont pas les cryptomonnaies qui vont menacer le dollar ou l’euro. Quant au retour de l’or comme étalon, nous n’y croyons pas une seconde.

2. Plusieurs sociétés (telles Shell, Airbus, Bpost, AB Inbev, Coface … et bien d’autres) ont annoncé la suppression ou la réduction de leurs dividendes. Le cours de l’action Royal Dutch Shell a baissé de 6 % après l’annonce de la suppression de son dividende trimestriel.
Pour la même raison, le cours d’Airbus a baissé de près de 8 %. La baisse de ces cours est-elle une opportunité d’achat ?


En pleine correction des marchés, plusieurs sociétés ont en effet décidé de revoir à la baisse leur politique de dividende. Leur principale motivation est soit de préserver leurs liquidités, soit d’éviter un surendettement dans le cas où le paiement de leurs dividendes procède d’emprunts bancaires. L’avenir nous dira si ces suppressions/diminutions sont temporaires ou définitives. Aujourd’hui, je constate que les chutes des cours consécutives à la réduction des dividendes sont significativement supérieures aux dividendes annuels, comme si les marchés anticipaient un lent retour « à la normale ». Observons toutefois que les corrections liées aux dividendes ne sont qu’une partie mineure de la correction totale des cours. Et donc, l’opportunité d’achat doit se faire avant tout à la lumière des perspectives de rebond et de croissance future. Le cas d’AB Inbev, est particulièrement exemplatif : la correction récente du cours de l’action (y compris l’annonce de la réduction du dividende à 0.5%) ne doit pas cacher la baisse des ventes et de la consommation de bière depuis 2016, et l’érosion graduelle du cours de son action.

En ce qui concerne, les « majors » pétrolières (comme p. ex. Total, Exxon, Royal Dutch Shell), nous estimons qu’elles représentent effectivement des opportunités d’achat sur le long terme. Leurs cours ont baissé de 40% environ depuis le début de l’année. Les trafics aérien et maritimes ont chuté (et ont tendance à reprendre à l’heure où je vous écris ces lignes), la production industrielle a été quasi à l’arrêt (et reprend avec le déconfinement), et le trafic routier s’est contracté le temps du confinement. L’arrêt de la consommation de l’énergie n’est que temporaire, et nous anticipons une reprise de la demande du pétrole dans les semaines à venir. Le débat sur la dépendance aux énergies fossiles, même s’il fait couler de l’encre aujourd’hui, n’est pas pour le déconfinement : il aura lieu dans quelques années.

Nous sommes également plus sceptiques pour les secteurs des transports aériens et de la construction aérienne (Airbus, Boeing, Rolls Royce, GE), qui devraient connaître certaines mutations structurelles suite à la crise du Covid-19. Aux Etats-Unis, Warren Buffett s’est défait le week-end dernier de ses participations dans le transport aérien. En Europe, les gouvernements assujettissent leur support financier aux compagnies nationales au changement de leur « business model » (moins d’empreinte carbone, moins de vols court courrier, etc.). Les compagnies aériennes qui survivront sont vraisemblablement celles qui offriront des vols moyen et long courrier, avec plus d’espace et de confort. Si le service et la sécurité suivent, les clientèles « affaire » et « tourisme » seront disposées à payer une juste prime pour voyager dans de bonnes conditions.

3. Depuis le début de cette crise, vous nous avez conseillé de garder notre sang-froid et de ne pas vendre. Est-ce que votre vision est toujours la même aujourd’hui ? Cette reprise boursière va-t-elle perdurer ?
Quels sont les principaux défis auxquels les marchés devront faire face ?


La crise du Covid-19 a mis à rude épreuve les nerfs des investisseurs. Des variations quotidiennes des cours de +/- 5% sont presque devenues monnaie courante. Le sang-froid et la patience sont encore et toujours les qualités essentielles pour la bonne gestion de son portefeuille. Le rebond du mois d’avril a été au-delà de nos espérances, et a montré que pour pouvoir gagner en bourse, il faut aussi être capable d’agir à contre-courant et d’acheter au « son du canon ». C’est ce que nous avons fait dans les portefeuilles de nos clients en continuant nos rachats progressifs.

Pour autant, il ne faut pas que l’ « optimisme béat » succède à la panique. Les marchés doivent encore digérer les résultats des entreprises du deuxième trimestre, lesquels seront communiqués en juillet 2020. Il faut aussi reconnaître que l’effet de levier (mesuré par l’importance de l’endettement relativement aux fonds propres) est encore historiquement élevé. Il faudra attendre plus longtemps pour atteindre un nouvel équilibre. Pour ces raisons, nous nous attendons à ce que les marchés continuent à être volatiles dans les prochains mois, dans l’attente de signaux macro-économiques positifs liés d’une part à la maîtrise sanitaire des déconfinements, et à la reprise des activités économiques d’autre part.

Restons toutefois optimistes à l’analyse du rebond du mois d’avril : si nous avions pu signer à la fin du mois de février pour le résultat actuel des bourses, nous l’aurions fait les yeux fermés !

4. Puisque vous parlez de situation macro-économique, il semble que la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, qui s’était un peu apaisée au début de l’année, soit ravivée ces derniers jours avec les déclarations de Donald Trump qui accuse la Chine d’avoir fabriqué le virus Sars-Cov-2. En représailles, Trump menace de taxer à nouveau certaines exportations chinoises vers les Etats-Unis. Pensez-vous qu’il s’agit d’un effet d’annonce lié aux élections présidentielles ?


A nos yeux, il s’agit d’un effet d’annonce. Les intentions de vote en faveur d’une réélection de Trump ont fortement baissé ces dernières semaines. Ses communications hasardeuses, mais surtout sa mauvaise gestion de la crise sanitaire, et la détérioration des indicateurs économiques aux Etats-Unis, ont contribué à sa perte de crédibilité. Trump cherche aujourd’hui à détourner le regard de ses électeurs vers les ennemis extérieurs que sont la Chine (qui a – soi-disant – créé le Sars-Cov-2 de toutes pièces) et l’OMS (qui n’a pas déclaré la pandémie en janvier, quand l’épidémie était limitée à la Chine).

5. Plus généralement, la perspective des élections est-elle une bonne ou une mauvaise nouvelle pour les marchés financiers ?


D’une manière générale, les années d’élection sont favorables aux cours de Bourse. Les récentes décisions de la Fed, ont été prises sous la pression de la Maison Blanche. Trump est un homme d’affaires qui veut des « deals ». Il aime les « coups », la déstabilisation, et l’effet d’annonce. Pour lui, le fond a beaucoup moins d’importance, car son électorat ne s’intéresse pas au contenu. Plus la date des élections approchera, plus il tentera de plaire à ses électeurs avec des arguments et des mots qui choquent le bon sens. Accuser la Chine alimente la théorie du complot. C’est un discours populiste, qui plaît à ceux qui veulent bien l’entendre. Il est facile à comprendre puisqu’il y a un méchant et un gentil. Il n’est pas le seul apanage de Trump : il a également cours dans nos démocraties européennes. Les marchés ont baissé sur les annonces de Trump, mais après avoir fortement progressé durant les deux semaines précédentes. On se souviendra que, par le passé également, les marchés ont digéré les sautes d’humeur électoralistes.

L’équipe de Waterloo Asset Management