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Questions Réponses sur la crise du COVID19 par Mikael PETITJEAN Chief Economist de Waterloo Asset Management

<b>Questions Réponses sur la crise du COVID19</b> par Mikael PETITJEAN Chief Economist de Waterloo Asset Management
27/05/2020

Nous voici enfin engagés dans le processus de déconfinement. Les équipes de Waterloo Asset Management espèrent qu’il se passe le mieux possible pour vous et pour vos proches. Voici une nouvelle série d’interrogations sur les marchés financiers. Notre Chief Economist, le Professeur Mikaël Petitjean (UCL & IESEG), y a répondu pour vous. Nous continuerons à vous informer au fur et à mesure de l’évolution de la situation. Vos commentaires positifs sur nos lettres d’information nous motivent à tenir cet engagement.

1. On l’a vu, les banques centrales ont injecté dans le circuit économique un montant inédit de liquidités. Aujourd’hui, avec le recul, était-ce ce qu’il fallait faire ?

Oui, les banques centrales ont fait ce qu’il fallait faire. Leur vitesse de réaction a été remarquable. Le programme d'achats d'urgence face à la pandémie de la BCE est en cours et il doit se poursuivre. Les mesures d’assouplissement quantitatif qu’elles ont prises jusqu’ici ont soutenu à la fois les Etats et les banques. En jouant le rôle d’acheteur en dernier ressort pour les titres de dette que les banques détenaient, elles permettent une nouvelle fois de juguler une crise de liquidité qui, si rien n’était fait, aurait pu se traduire par une crise de solvabilité plus importante.

2. D’accord, mais n’est-ce pas jouer avec le feu ? Ne risque-t-on pas de voir se créer une bulle ?

C’est vrai que cette politique monétaire non conventionnelle a des effets pervers, comme toutes les interventions de politique économique. Elle a conduit à un gonflement inédit des réserves bancaires dans le bilan de la Banque centrale européenne (BCE). Cela a permis de neutraliser l’impact sur l’inflation que cette politique de rachat aurait pu avoir si la BCE avait plutôt activé la « planche à billets » et conduit à une augmentation de la quantité de monnaie en circulation. C’était aussi une manière de ne pas dévier de son objectif de contrôle de l’inflation par la fixation de son taux d’intérêt directeur. L’Allemagne y était particulièrement sensible. Il ne faut pas s’en cacher : l’augmentation des liquidités qui a suivi la forte baisse des taux directeurs et les vagues d’assouplissement quantitatif qui ont suivi s’est traduite par une inflation dans le prix de nombreux actifs financiers, en particulier les titres de dette, comme le démontre le prix élevé que les obligations émises par des entreprises fortement endettées avait atteint avant l’arrivée du virus.

3. La Banque centrale européenne est-elle condamnée à chaque fois agir de la sorte et à favoriser d’autres bulles à l’avenir ?

A notre avis, la BCE devrait fixer un objectif ambitieux de croissance économique nominale, c’est-à-dire une croissance du produit intérieur brut à long terme en tenant compte du niveau des prix également. Cette stratégie est particulièrement appropriée lorsqu’il y a un choc négatif aussi brutal sur l’offre et sur la demande, comme c’est le cas actuellement. Viser à un objectif élevé de croissance du PIB nominal conduit à une politique plus expansionniste que si le seul taux d’inflation est pris en considération.

4. Le risque n’est-il pas alors de relancer l’inflation sans pouvoir la maintenir sous contrôle ?

Ce risque n’est pas nul mais il est bien plus faible que celui qui conduirait à la chute structurelle de nos capacités productives. Ensuite, les indicateurs d’activité économique sont désormais disponibles à une fréquence beaucoup plus élevée que précédemment et les prévisions du PIB à très court terme sont plus précises, ce qui diminue le risque de sous-estimer le rythme de croissance du PIB nominal s’il devait s’emballer. Enfin, l’inflation a quasiment disparu. Contrairement à ce qu’on croit, ce n’est pas une situation désirable.

5. Pourquoi ? Moins d’inflation, c’est un mazout moins cher et donc un pouvoir d’achat plus élevé, non ?

Tout d’abord, ce n’est pas une situation désirable pour la transition énergétique. Il suffit d’observer les prix actuels des matières premières polluantes, qui sont au plus bas. Ensuite, cette baisse des prix risque d’être généralisée si elle perdure. Ce n’est pas bon non plus pour l’économie. La déflation est un fléau contre lequel il est plus difficile de lutter. Malgré toutes les tentatives désespérées du Japon et de l’Europe, les objectifs d’inflation n’ont plus été atteints depuis bien longtemps. Dans tous les cas, une augmentation de l’inflation qui pourrait s’accompagner d’une période durant laquelle les taux d’intérêt réels seraient négatifs permettrait d’alléger le fardeau des dettes. Les Etats devraient l’accueillir plutôt favorablement.

6. Les économies ne vont pas redémarrer de sitôt en raison des inquiétudes liées à l’avenir et à la montée du chômage. Ne risque-t-on pas de tomber dans un marasme à la japonaise, avec des successions de périodes de récession, une déflation et des excès de liquidités ?

Le Japon était déjà en récession il y a 4 ans et le sera à nouveau, comme tous les pays de la zone euro dans quelque temps. Les récessions qui ne se transforment pas en dépression ne sont pas à craindre. L’exemple du Japon est intéressant car il est notre « avenir » si nous n’arrivons pas à réaliser des gains de productivité plus élevés au travers d’une montée en gamme de notre capital humain et de notre technologie. Ce serait fantastique si nous devions y parvenir, mais ce ne serait pas l’apocalypse si nous devions échouer. Au cours des 7 dernières années, en tenant compte du paiement des dividendes, le principal indice boursier japonais, le NIKKEI 225, a fait mieux que le BEL 20, le CAC 40 (Paris) ou même le DAX 30 (Francfort) à concurrence d’environ 2 points de pourcentage par an. On peut même dire que c’est vrai depuis 2000 même si on ne tient pas compte du paiement des dividendes : le NIKKEI 225 bat le BEL20, le CAC40 et le DAX30. Evidemment, il valait mieux ne pas avoir investi en Bourse de Tokyo en 1989, au moment du krach. Le Nikkei 225 avait atteint à ce moment un niveau qu’il n’a plus jamais atteint depuis. Entre 1990 et 2020, la performance globale du NIKKEI 225 est d’environ -1.5% par an, compte non tenu du paiement des dividendes. Avant que le virus ne nous frappe, il n’y avait certainement pas chez nous de bulle immobilière équivalente à celle que le Japon a traversée il y a 30 ans.

7. L’Allemagne, moteur économique de l’Union européenne, va entrer en récession : le 1er trimestre de 2020 sera en baisse et le 2ème trimestre sans doute aussi. Quelles pourraient en être les conséquences ?

Une Union économique sans moteur, c’est gênant… (Pour info, la France et l’Italie sont déjà en récession) Les conséquences ne sont évidemment pas favorables, mais je vais vous surprendre : il eût été préférable que l’Allemagne, plutôt que l’Italie, fût à l’épicentre de la propagation du virus. Les épaules de l’Allemagne sont beaucoup plus solides que celles de l’Italie. L’Allemagne aurait eu la capacité, notamment budgétaire, d’absorber le choc plus facilement que l’Italie qui est désormais le maillon faible de la zone euro. Si les rôles avaient été inversés, la situation aurait été plus facile à gérer. Maintenant il faut également considérer ce qui se passerait si la situation économique de l’Allemagne devait se dégrader davantage. Plus l’Allemagne ira mal, plus elle acceptera des compromis à l’échelon européen et réalisera qu’il faut être deux pour danser le tango. C’est particulièrement vrai au sein de la zone euro étant donné l'importance des échanges commerciaux internationaux. Entre 2015 et 2019, les exportations au sein de l’Union européenne (UE) ont augmenté de 500 milliards environ, soit à un rythme annuel de 4,5%. Les pays qui enregistrent des excédents commerciaux n’ont aucun intérêt à voir s’affaiblir leurs principaux partenaires. Or les pays les moins endettés sont d’importants exportateurs nets au sein de l’UE. Environ 58% des exportations de l’Allemagne et 54% de celles des Pays-Bas ont comme destination les 26 autres membres de l’UE, en excluant le Royaume-Uni. Ce sont d’ailleurs ces deux pays qui ont enregistré les plus gros excédents de leur balance commerciale des marchandises en 2018. En 2019, l’Allemagne a réalisé ses 5ème et 6ème plus gros excédents commerciaux avec l’Espagne et l’Italie, pour un montant combiné de plus de 22 milliards d’euros, derrière les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni et l’Autriche. Ces montants nous montrent à quel point un affaiblissement économique exacerbé de l’Italie et de l’Espagne aura des conséquences directes sur la santé des entreprises exportatrices en Allemagne. Plus l’Allemagne ira mal, plus il y a de chances que nous avancions sur le plan d’une relance budgétaire à l’échelon européen.

8. Après la pluie le beau temps : tout le monde l’espère. Y aura-t-il une reprise ? Si oui, quand ? Une reprise en V, en U ou en W ?

Le mot ordre reste le même : garder son sang-froid. Il ne s’agit pas d’être optimiste ou pessimiste. Il s’agit d’être le plus réaliste possible. Même si le pessimisme forcené a toujours eu davantage la cote que l’optimisme béat, ni l’un ni l’autre n’ont fait progresser l’humanité. En réalité, l’humanité a besoin de pluie et de soleil. Les reprises « ensoleillées » sont impossibles sans récessions « pluvieuses ». Cela faisait 10 ans que les banques centrales étaient parvenues à lisser les cycles économiques, mais ils n’ont pas disparu. Il est d’ailleurs impossible pour les banques centrales d’anticiper de tels chocs aussi brutaux, qui heurtent à la fois la production et la consommation. Ce sera sans doute un W ou un J écrasé en forme de crosse de hockey. Ceci dit, les économistes sont forts inventifs lorsqu’il s’agit d’en rajouter avec les lettres à l’alphabet ! La véritable question est la quantité de monnaie que les banques centrales vont pouvoir injecter directement dans les circuits économiques pour que ces liquidités atteignent les entreprises qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les petites et moyennes entreprises. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la BCE mise autant sur les banques privées car ce sont elles qui « créent le crédit ». A l’heure actuelle, les injections de liquidités sont massives : elles représentent actuellement environ 8,5% d’un PIB mondial qui, lui, chuterait d’environ 10% cette année. Ce sont des amortisseurs solides mais il ne faut pas s’arrêter là.

9. Le milliardaire américain Georges Soros propose que l’Union européenne mène une politique forte de relance avec les 1.000 milliards qu’elle a prévus mais en y ajoutant un fonds de relance de 1.000 milliards obtenus via un emprunt perpétuel sur lequel l’Union ne devrait payer que des intérêts de surcroît minimes : 0,5 %. Est-ce une idée à creuser ?

Les décideurs politiques au sein de la zone euro doivent effectivement explorer toutes les pistes. L’une d’entre elles est d’accepter de mutualiser d’une manière ou d’une autre une partie de leur dette publique. Un emprunt perpétuel est une piste sérieuse, mais des émissions à 10 ans seraient déjà un excellent point de départ. Le niveau des taux est historiquement bas. Si des pays comme les Pays-Bas, la Finlande et l’Autriche emboitent le pas de l’Allemagne et de la France, la probabilité de succès n’est pas nulle. Il serait même possible d’envisager des émissions pour l’Italie et l’Espagne a des taux nuls. C’est une opportunité historique. Ces titres de la dette seraient de toute manière « monétisés » par la BCE en cas de tension sur les marchés.

10. Mais alors qu’attend-on ? Que la pluie forte se transforme en déluge ?

Il faut un accord politique. Contrairement à ce qu’on pense souvent, le politique est plus déterminant que l’économique. Si la gestion de la chose publique s’était « internationalisée » au même rythme que la mondialisation des échanges, un grand nombre de problèmes ne seraient plus sur la table aujourd’hui. Il est d’ailleurs impératif de créer un espace de relance budgétaire au niveau européen, que ce soit au niveau de la Commission européenne ou du Mécanisme européen de stabilité (MES). La solidarité est aujourd’hui absolument requise au niveau européen, même si je n’aime pas utiliser ce mot de solidarité car il est trop souvent galvaudé et fait l’objet de manipulations politiques. Sans un minimum de solidarité, à quoi servirait, au bout du compte, la construction européenne si elle devait s’arrêter à la libre circulation des personnes, des biens et des services ?


Par Mikael PETITJEAN professeur de Finance (UCL & IESEG) et Chief Economist de Waterloo Asset Management

Au plaisir de vous revoir, 
L’équipe de Waterloo Asset Management