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Nouvelle série d’interrogations sur les marchés financiers par Mikael PETITJEAN Chief Economist de Waterloo Asset Management

<b>Nouvelle série d’interrogations sur les marchés financiers</b> par Mikael PETITJEAN Chief Economist de Waterloo Asset Management
03/06/2020

Nous voici enfin engagés dans le processus de déconfinement. Les équipes de Waterloo Asset Management espèrent qu’il se passe le mieux possible pour vous et pour vos proches.
Voici une nouvelle série d’interrogations sur les marchés financiers. Notre Chief Economist, le Professeur Mikaël Petitjean (UCL & IESEG), y a répondu pour vous. Nous continuerons à vous informer au fur et à mesure de l’évolution de la situation. Vos commentaires positifs sur nos lettres d’information nous motivent à tenir cet engagement.

1. Les Etats et les institutions supranationales ont emprunté au-delà de tout ce qu’on avait imaginé. Cette politique est-elle tenable ?

Cette politique est tenable à l’heure actuelle. Toutes les grandes zones monétaires font actuellement la même chose. Elles vont recourir à l’arme budgétaire et les effets de leurs actions sur leurs monnaies respectives se neutralisent dans une certaine mesure. L’euro s’est déprécié de 3% relativement au dollar depuis le début de l’année. En réalité, une dépréciation de la monnaie est souhaitable actuellement car elle est un vecteur d’inflation. L’inflation réduit le poids des dettes et pousse des acteurs économiques à acheter maintenant plutôt qu’à attendre que les prix baissent davantage. Il ne faut donc pas rater cette occasion pour agir sur le plan budgétaire.

2. Cela peut donc continuer à l’infini ? N’y a-t-il pas de danger de ce côté-là ?

Tant que la confiance dans la monnaie demeure, il n’y a pas de danger. Mais que les choses soient bien claires : le keynésianisme conduit à des déséquilibres majeurs lorsqu’il sert systématiquement d’excuse au creusement des déficits. Des pays comme la France et la Belgique y ont eu recours trop souvent pour des motifs électoralistes ou lorsqu’il y avait un léger ralentissement conjoncturel. Ces pays n’ont jamais restructuré leurs dépenses publiques en période d’embellie conjoncturelle. Les déficits publics sont devenus structurels car il n’y a rien de plus facile que de baisser les impôts ou d’augmenter les dépenses publiques. Mais Keynes lui-même aurait été opposé à l’utilisation systématique de l’arme budgétaire. Il était plus conservateur qu’on ne le pense.

3. C’est plutôt l’Allemagne qui a le moins recouru à l’arme budgétaire sur ces 20 dernières années. Cela explique-t-il son redressement ?

Effectivement, depuis plus de 15 ans, l’Allemagne est redevenue le maillon fort de l’Europe en se désintoxiquant du keynésianisme et en opérant des réformes structurelles sur son marché du travail. Je suis plutôt un partisan de règles budgétaires et monétaires transparentes et non négociables car, sans elles, c’est le laxisme budgétaire assuré. L’Allemagne a instauré ces règles au bon moment, ce qui lui a permis de redresser ses comptes publics et lui permet aujourd’hui d’agir de manière massive sur le plan budgétaire au moment précis où elle en a le plus besoin. Son plan de relance en pourcentage du PIB est à deux chiffres, pendant que d’autres pays tentent péniblement de passer le cap des 5%. On ne devrait recourir au keynésianisme que lorsqu’une crise majeure intervient, lorsque l’investissement, la production et la consommation privées s’effondrent. Autrement dit, lorsque les marchés fonctionnent très mal. Ce fut le cas pendant plusieurs mois : nous avons délibérément choisi de couper le courant de la planète « économie ».

4. Le Japon est endetté à concurrence de 250 % de son PIB et cela ne semble déranger personne. Au contraire même, le yen est considéré comme une valeur refuge. Est-ce parce que cette dette est détenue en quasi-totalité par les Japonais eux-mêmes ?

Oui, la banque centrale japonaise (Bank of Japan, aussi appelée Boj) détient environ la moitié de la dette japonaise. C’est la première expérience de monétisation massive menée par une banque centrale. Elle est réussie jusqu’ici. 7% seulement des obligations émises par le Japon sont détenus par des non-résidents. C’est un record. Cela s’explique par le fait que le Japon est un prêteur net à l’égard des autres pays. Dans ces conditions, il est inutile de demander aux non-résidents d’acheter la dette japonaise puisque les Japonais ont de l’épargne suffisante pour l’acheter eux-mêmes. Maintenant, plus les taux au Japon restent bas, plus le risque d’un appauvrissement des rentiers japonais est élevé. Ce sera également le cas de l’ensemble de la population vieillissante du Japon si la croissance reste faible à long terme. En Europe, on pense évidemment à l’Italie. La bonne nouvelle est que, parmi les grands pays de la zone euro, c’est en Italie que le pourcentage de la dette détenue par les non-résidents serait le plus faible, soit 40% en moyenne selon les calculs. La Banque centrale européenne (BCE) en détiendrait 20%. Mais seuls 5% de cette dette sont détenus par les ménages italiens, le reste par des intermédiaires financiers italiens qui restent fragiles. On est encore loin des niveaux observés au Japon. La difficulté pour l’Italie est qu’elle ne parvient pas à enregistrer des excédents commerciaux de manière stable en raison d’une chute drastique de la productivité et d’un déficit de compétitivité. Elle reste dépendante de l’épargne étrangère.

5. Que penser du cours du pétrole ? Il a fortement chuté fin mars (Brent, 23 dollars) puis fin avril (19,5 dollars). Il est actuellement remonté à 39,50 dollars. Est-ce un point d’équilibre vu l’ampleur de l’offre et la modestie de la demande ? Comment va-t-il évoluer ?

Le Brent a chuté de 45% depuis le début de l’année. C’est assez logique. Les marchés ne sont pas si inefficients qu’on ne le pense… en dépit du prix négatif que l’on a observé pendant quelques heures sur les contrats à terme du pétrole américain WTI, il y a quelques semaines. Quand la production et la consommation mondiale sont à l’arrêt, le pétrole ne sert plus à grand-chose. C’est le même raisonnement pour des avions qui ne volent pas : c’est beau, mais ce n’est pas très utile. Ceci dit, les pétrolières ont tellement chuté qu’elles redeviennent attractives, même sans versement de dividendes. Total a chuté de 34% environ depuis le début de l’année. Et personne ne veut un pétrole bon marché, certainement pas les protecteurs de l’environnement.

6. Aux Etats-Unis, 1ère économie mondiale : le PIB pourrait se contracter de 20% au 2ème trimestre contre seulement 5 à 12% en Europe. Quel impact sur Wall Street ? Sur les autres marchés ?

Les chiffres de la décroissance cette année seront extrêmement impressionnants mais ceux qui s’en réjouissent et rêvent d’un nouveau monde que l’on réinventerait en partant d’une page blanche, en relocalisant les activités de production sur notre sol « blanc bleu belge », vont être déçus. En réalité, la décroissance est une catastrophe aussi bien pour l’économie que pour l’environnement. Qui peut sérieusement penser qu’on parviendra à diminuer notre dépendance aux matières premières polluantes si leurs prix devaient rester à des niveaux aussi bas ? De toute manière, il n’y aura pas de décroissance en 2021, certainement pas aux Etats-Unis.

7. Même si le taux de chômage atteint 25 %, comme semble dire Jerome Powell, président de la Fed, la banque centrale américaine ? Sans protection du filet social, en plus…

La protection sociale minimale aux Etats-Unis explique l’envolée du chômage mais elle rend également le marché du travail beaucoup plus résilient. Le rebond de l’emploi sera plus important aux Etats-Unis qu’en Europe. Le modèle américain est un modèle qui génère plus de richesses, de croissance mais aussi plus d’inégalités. L’Europe a choisi une autre voie. Si la seconde vague du virus dont on parle tant est gérable, les Etats-Unis rebondiront plus vite que l’Europe, comme ce fut déjà le cas après la crise de 2008. La grande question est de savoir à quelle vitesse le choc de 2020 sera compensé en 2021. Comme je l’ai dit plusieurs fois lors de mes conférences, je ne suis pas la Pythie de Delphes.

8. Certains jours les marchés boursiers sont en hausse, parfois en forte hausse. Peut-on dire que ces jours-là les Bourses anticipent et tablent sur une reprise au 2ème semestre ?

Oui, c’est particulièrement le cas aux Etats-Unis. Plus la seconde vague du virus tant redoutée sera contenue et plus les banques centrales réussiront à injecter des liquidités dans le circuit économique, plus la probabilité d’un rebond de la croissance est élevée. Il faut tout faire pour éviter un scénario déflationniste et jusqu’ici les banques centrales ont tout fait pour éviter ce scénario. D’ailleurs, il est absurde d’affirmer haut et fort que la réaction des marchés est irrationnelle. Hormis les idéologues qui voudraient faire « tabula rasa » de la « doxa marchéiste », tous les économistes savent pertinemment bien que la politique monétaire influence considérablement les valorisations sur les marchés financiers, en particulier lorsqu’elle agit dans le même sens aux quatre coins de la planète. Mais évidemment personne ne peut non plus affirmer haut et fort que les valorisations actuelles sont fondamentalement justifiées. Il faudra attendre encore quelque temps pour le savoir.

9. Que pensez-vous de la mutualisation, non pas des dettes, mais des taux d’intérêt dans la zone euro ? L’Italie, l’Allemagne, la Grèce, les Pays-Bas… tous les Etats de la zone euro emprunteraient au même taux d’intérêt pour la même durée. Comme aux Etats-Unis : la Californie emprunte au même taux que Washington DC ou le Texas…  

Oui, c’est une excellente nouvelle et cela démontre une nouvelle fois que les Etats ont besoin des marchés pour s’en sortir. Les Etats ont besoin du marché sans lequel il leur est impossible de réaliser des gains de productivité suffisants pour financer leur croissance et la transition énergétique. La Chine l’a compris au début des années 1980. Et le marché a besoin d'une régulation qui facilite l'innovation, les nouveaux entrants et assure une transition la moins dure possible pour ceux et celles qui perdent leurs emplois durant les phases de transformation profonde de l’économie. Vous savez : quand Zuckerberg demande à l'Europe de se mettre d'accord, il a raison. Si cette crise peut nous permettre d'avancer sur le plan du multilatéralisme politique dans une Europe resserrée, qui considère le marché comme un allié plutôt qu'un ennemi à combattre, nous n'aurons pas tout perdu. En Europe, nous n'avons pas besoin d'une réglementation plus lourde : nous sommes sans doute les champions du monde en la matière. Nous avons besoin d'une régulation cohérente entre Etats membres. Or, la mutualisation des dettes offre plus de cohérence et elle sera accueillie favorablement par les marchés.

10. On parle très peu des pays émergents. Le plus connu d’entre eux, la Chine, a vu son PIB baisser de près de 10 % au 1er trimestre de cette année mais son marché boursier a perdu moins de 10 %. Pour les autres pays émergents, c’est la chute raide : l’indice MSCI Emerging Markets a baissé de 32 % entre la mi-février et la mi-mars. Que pensez-vous des pays émergents ? Certains pays (la Chine par exemple) semblent-ils plus intéressants que d’autres ?

Lorsque nous avons réalisé notre dernière analyse macro au début du mois de mai, la Chine faisait toujours partie des 10 pays que nous considérions comme « bon marché ». On y retrouvait également la Corée du Sud qui affiche un rapport « cours sur bénéfice » ajusté égal à 11. C’est attractif quand vous savez que c’est 27 environ pour les Etats-Unis. Autrement dit, les Etats-Unis sont presque 3 fois plus chers que la Corée du Sud. Mais quand vous investissez dans ce type de marchés plus exotiques, il faut avoir le cœur plus accroché que lorsque vous investissez dans un portefeuille de grandes capitalisations. Il faut être plus patient car les flux monétaires investis peuvent se retirer très rapidement et mettre plus de temps à revenir. Par contre, quand les flux sont de retour, le mouvement à la hausse peut être soutenu. Dans notre jargon, on parle d’un « momentum » élevé. De toute manière, il faut dorénavant s’habituer à inclure dans son portefeuille une part de plus en plus grande de titres asiatiques. Ce n’est pas le Covid qui mettra fin à la montée de l’Asie.

L’équipe de Waterloo Asset Management