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La spirale inflationniste, notre nouvelle menace ? par Mikael PETIJEAN

<b>La spirale inflationniste, notre nouvelle menace ?</b> par Mikael PETIJEAN
03/02/2022

Les économistes s’étripent au sujet de l’inflation. Elle serait « transitoire » pour les uns et « permanente » pour les autres. Ce débat est absurde : « Rien n'est permanent, sauf le changement. Seul le changement est éternel » (Héraclite d’Ephèse, dit « l’Obscur », Maximes, 142, 6ème siècle avant JC). Autrement dit, l’inflation est continuellement en transition.

Plus déroutant encore est notre faculté à oublier un passé pourtant proche. Juste avant la pandémie, au début de l’année 2020, la préoccupation majeure sur le plan monétaire était la baisse généralisée et tendancielle des prix, que l’on appelle déflation dans le jargon des économistes. Deux ans plus tard, faudrait-il désormais craindre une spirale inflationniste ?

Force est de constater que le redémarrage de nos économies est impressionnant, le plus fort jamais enregistré depuis la Seconde Guerre, si bien que la croissance économique mondiale avoisine les 5,9% en 2021. Dans le même temps, l’inflation dans la zone Euro s’est établie à 5% sur un an. Est-ce fondamentalement une surprise ? Lorsque le ressort de l’économie mondiale se relâche aussi subitement, l’offre s’ajuste péniblement à la demande, d’autant plus que le virus continue de circuler. Prophétiser une spirale inflationniste uniquement sur cette base est farfelu. En juillet 2008, juste avant l’effondrement du système bancaire, l’inflation en zone euro avait déjà atteint 4,1% alors que l’économie mondiale en 2007 avait enregistré une croissance plus faible de 4,3%. Aujourd’hui, nous sortons d’une période de « paix » unique dans notre Histoire : la consommation mondiale n’aura sans doute jamais été comprimée aussi subitement, aussi fort et de manière aussi homogène sans qu’une guerre militaire planétaire en soit l’explication. La consommation mondiale a ensuite rebondi de manière fulgurante grâce à la découverte de vaccins plus efficaces que prévu et aux plans de relance budgétaires et monétaires d’une ampleur gigantesque.

La composante énergétique de l’inflation en explique largement la « bosse » : en décembre 2021, le prix de l’énergie a augmenté sur un an de 25% dans la zone euro. Cela fait très mal au pouvoir d’achat des ménages à faibles revenus, mais cette composante énergétique est heureusement souvent influencée par des éléments conjoncturels et géopolitiques : en juillet 2008, juste avant d’atteindre le paroxysme de la crise financière en septembre, elle avait progressé de 17% pour chuter de 14% un an plus tard.

La conjoncture explique la grande partie du rebond de l’inflation aux Etats-Unis. Par exemple, ce sont les prix des voitures d’occasion qui ont le plus progressé, de plus de 30% ; la pénurie des puces électroniques et la peur des transports en commun en sont les causes. Lorsque les variations exceptionnelles de prix sont neutralisées, le taux d’inflation ajusté, tel que calculé par la Banque de la Réserve Fédérale de Cleveland, était de 4,9% en décembre 2021. Il était égal à 6,5% en juillet 2008, avant la crise.

Cela ne veut pas dire que l’inflation va retomber aux niveaux observés en moyenne durant les années 2010. Ce n’est d’ailleurs pas l’objectif de la BCE qui vise un taux autour de 2%. Plusieurs facteurs structurels sont inflationnistes. Citons la transition énergétique, surtout si elle conduit à exacerber les tensions géopolitiques autour des sources d’approvisionnement ; le vieillissement de la population qui produit moins, consomme plus et pourrait disposer de salaires réels plus élevés ; l’offre limitée de nouveaux logements, qui pousse les loyers et les prix de vente à la hausse, ou encore l’endettement colossal de nombreux Etats de la zone euro, qui deviendraient insolvables si les taux d’intérêt réels devaient remonter trop vite.
La hausse des prix de l’immobilier, des loyers, et des combustibles, tel est le sujet à ne pas reléguer au bas de l’agenda politique si notre objectif est d’éviter les ouragans populistes dont les conséquences sont tout aussi redoutables.

Mikael PETITJEAN
Professeur à l’UCLouvain (UCL Mons) et à l’IESEG School of Management (Lille et Paris), Chief Economist chez Waterloo Asset Management.