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Courage, fuyons ? par Mikael PETITJEAN

<b>Courage, fuyons ?</b> par Mikael PETITJEAN
11/04/2022

La guerre en Ukraine aura finalement rendu caduques toutes les prévisions de retour à la normale durant le courant de l’année 2022. Le fort rebond de l’économie mondiale, accompagné de contraintes logistiques persistantes, avait déjà conduit à une hausse du prix des matières premières de 38% en 2021. Elle s’est poursuivie au début de cette année et a atteint 27% au cours du premier trimestre. 

L’envolée du prix des céréales, de l’huile, du gaz et du pétrole impacte directement le pouvoir d’achat de la population, en particulier en Europe dont la dépendance vis-à -vis des importations est beaucoup plus forte qu’aux Etats-Unis. Cette dépendance s’est continuellement aggravée depuis plus de 20 ans. Selon les propres chiffres de la Commission Européenne, le taux de dépendance à l’égard du gaz était de 49% en 2000 ; il est passé à 75% en 2020 et il devrait monter à 88% en 2030. Etant donné la fragilité du contexte conjoncturel, augmenter les taux d’intérêt dans la zone euro serait une erreur car l’inflation en Europe est importée. Cela reviendrait à transformer le risque de stagflation en en risque de récession sans garantie aucune de faire chuter cette inflation rapidement. Le seul moyen efficace de casser l’inflation et non la croissance est de trouver une alternative à l’importation de gaz et de pétrole russe et, surtout, une solution diplomatique à cette guerre inique que nous continuons de financer.

La situation aux Etats-Unis est différente. L’inflation devient endogène et la pression sur les salaires est désormais réelle. Le taux d’inflation anticipé, dit « d’équilibre », à 5 ans a atteint 3,3%, son niveau le plus élevé depuis 25 ans. Sans surprise, la normalisation des taux d’inflation n’est désormais pas attendue avant 2023.

Dans ces circonstances, lorsque les matières premières s’envolent, tous les regards se portent sur le prix du « baril WTI » pour la simple raison qu’il signale assez bien l’occurrence d’une récession économique. Dans le passé, les chocs significatifs sur le prix du pétrole ont souvent été associés à des récessions.
Ce choc sur le pétrole intervient à un moment où le cycle de hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis ne fait que commencer. Selon plusieurs estimations conservatrices, son taux de référence, qui est à 37,5 points de base, est actuellement trop bas et devrait être augmenté de 300 points de base. Etant donné la situation économique actuelle, cette augmentation pourrait s’opérer par saut de 50 points de base au cours de chacune des six réunions à venir de la Réserve Fédérale. A l’heure actuelle, les anticipations dans le marché donnent un taux proche de 3,50% mais uniquement à la fin 2023, suivie d’une baisse en 2024. Une nouvelle correction sur le marché obligataire reste donc possible.

Une inflation forte n’est pas problématique pour autant qu’elle soit maîtrisée et qu’elle s’accompagne d’une croissance économique solide. Force est de constater que la Réserve Fédérale est à la traîne dans la remontée des taux et que l’économie américaine est plus proche de la fin d’un cycle haussier que de son début. L’aplatissement très rapide de la courbe des taux d’intérêt qui vient d’avoir lieu en l’espace de 3 mois concorde avec une augmentation du risque de récession. La courbe s’est même inversée au début du mois d’avril, ce qui signifie que le taux à 2 ans a dépassé le taux à 10 ans. Or, des taux élevés à court terme sont un frein à la croissance, surtout lorsqu’ils doivent être poussés à des niveaux plus élevés que le taux à 10 ans.

Chez Waterloo Asset Management, nous anticipions déjà une année 2023 plus délicate à gérer depuis plus d’un an : les politiques monétaires et budgétaires risquent de peser du mauvais côté de la balance et les attentes du marché sur les bénéficies risquent d’être revues à la baisse.

Tous ces éléments négatifs ne doivent pourtant pas nous conduire tout droit dans nos abris antiatomiques. Même si le risque de récession est beaucoup plus tangible qu’il y a encore quelques mois, personne ne peut exactement prédire l’occurrence exacte d’une récession et, de toute manière, chaque cycle offre des opportunités d’investissement qui sont bien plus vastes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient durant les années 1970. L’or a depuis longtemps perdu son monopole de « grand protecteur devant l’éternel » et les décennies qui ont suivi ont montré que les actions restaient incontournables, même en période de forte inflation. Les rotations sectorielles sont également beaucoup plus faciles à opérer qu’il y a 50 ans. Les valeurs défensives de « rendement », dans plusieurs secteurs clés de l’économie, ont d’ailleurs beaucoup mieux résisté depuis le début de l’année que les valeurs de croissance, actives notamment dans le secteur technologique. Contrairement aux années 1970, il est désormais possible d’investir dans des obligations indexées à l’inflation, accessibles via des fonds indiciels. D’autres investissements beaucoup plus tactiques et satellitaires permettent de tirer profit de taux d’emprunt réels négatifs, pour autant qu’ils offrent des garanties de liquidité suffisantes. Il s’agit d’investissement dans les actifs réels, qui ont une valeur « tangible », accessibles via des fonds investis dans des infrastructures sociales ou durables, le transport, ou encore des sociétés non-cotées en bourse.

Même dans le cas extrême où vous ne désireriez rien changer dans un portefeuille investi exclusivement en actions, les récessions sont bien moins douloureuses qu’on ne le pense à condition de garder patience et d’être bien diversifié. Considérons les 15 récessions identifiées entre 1919 et 2022 par le Bureau National de la Recherche aux États-Unis. Imaginez que vous êtes malchanceux et que vous investissez à chaque fois dans le S&P500 au début de la récession pour vendre juste à la fin. Votre rendement annualisé aurait été positif dans 40% des cas et négatif de -4,71% en moyenne. Trois ans après la fin d’une récession, le rendement moyen par an est de 1,95% et, 5 années après la fin de la récession, il passe à 3,38% par an en moyenne. En admettant que les dividendes ont rapporté historiquement environ 4% sur le prix des actions du S&P500 et que les frais de gestion et de transaction avoisinent 2% l’an, on pourrait très bien ajouter de 2 points de pourcentage environ aux moyennes précédentes.


Si vous êtes maintenant comme Martin Belhomme, admirablement bien campé par Jean Rochefort, toujours pris d’une peur maladive quelque peu infantile, je vous prête gracieusement l’abri antiatomique que le précédent propriétaire avait fait construire dans ma propriété. Autant qu’il serve à quelque chose.

Mikael PETITJEAN
Chief Economist chez Waterloo Asset Management et Professeur à l’UCLouvain et l’IESEG School of Management (Lille et Paris),