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Questions-Réponses sur les marchés financiers par Mikael PETITJEAN

<b>Questions-Réponses sur les marchés financiers</b> par Mikael PETITJEAN
08/05/2022

Depuis le début de l’année, les marchés financiers connaissent un regain de volatilité, suscitant par la même occasion son lot d’interrogations.

Comme nous l’avions déjà fait par le passé, nous avons décidé de rassembler les questions qui nous sont les plus régulièrement posées et d’y répondre avec l’aide du Professeur Mikael Petitjean, Chief Economist de Waterloo Asset Management, et de notre comité d’investissement. Nous continuerons à vous informer au fur et à mesure de l’évolutions de la situation.

La notion d’inflation temporaire semble avoir disparu du discours des banquiers centraux. Quel en est la conséquence sur les perspectives de croissance économique ?

Il y a six mois à peine, un retour à la normale sur le front de l’inflation était attendu pour le milieu de cette année mais la guerre en Ukraine a tout bouleversé. Combiné à une pandémie encore mal maîtrisée en Chine, ce conflit n’a fait qu’aggraver les tensions déjà manifestes du côté de l’offre, au niveau des chaines d’approvisionnement. L’envolée du prix des matières premières, en particulier du gaz, du pétrole, des métaux, et du blé, a provoqué une augmentation du coût de la vie et poussé les coûts de production à la hausse, en particulier dans les secteurs énergivores.

Tant que le Président Poutine sera au pouvoir, les relations commerciales avec la Russie resteront dégradées, même si le conflit en Ukraine devait cesser rapidement. Par conséquent, le prix du pétrole ou du gaz risque de se maintenir à des niveaux historiquement élevés. Des sources alternatives d’approvisionnement existent mais l’Europe a été prise de court, en particulier l’Allemagne qui avait parié sur le gaz russe pour compenser la fermeture de ses centrales nucléaires. L’Europe mise désormais davantage sur le gaz liquéfié, venant notamment des Etats-Unis, mais le nombre d’usines de regazéification est encore beaucoup trop limité pour neutraliser une nouvelle hausse des prix qui pourrait provenir d’un embargo éventuel sur le gaz russe ou d’une mesure ultime de représailles du Président Poutine face à l’échec de sa tentative d’annexion du Donbass. Le remplacement du pétrole russe est moins problématique mais les forages de pétrole en Norvège ou en Afrique du Nord ne sont pas non plus infinis.

L’inflation pourrait donc rester à des niveaux historiquement élevés jusqu’en 2024, mais c’est une inflation avant tout mal contrôlée qui représente une menace pour les marchés, en particulier pour le marché des obligations gouvernementales, car elle oblige les autorités monétaires à accélérer le rythme de hausse de ses taux d’intérêt directeurs. En Europe, l’inflation reste actuellement sous contrôle dans le sens où elle est avant tout importée en raison de l’envolée des matières premières. Elle ne provient pas d’une surchauffe endogène de l’économie. Dans ces circonstances, ce n’est pas une hausse des taux d’intérêt de la Banque Centrale Européenne (BCE), qui va faire baisser le prix des matières premières et donc l’inflation importée. En augmentant ces taux, la BCE peut certes rendre moins couteuse l’importation des matières premières en stoppant la dépréciation de l’euro qui frôle 10% depuis le début de l’année face au dollar, mais elle le fera en augmentant le risque d’une récession économique, toujours accompagnée d’une inflation persistante. La situation est différente aux Etats-Unis où le risque d’une boucle « prix-salaire » est réel. La remontée des taux est donc justifiée mais elle ne doit pas occulter le risque d’un ralentissement économique. Le PIB américain a d’ailleurs reculé de 1,4 % en rythme annuel par rapport au dernier trimestre de 2021. La bonne nouvelle est que la consommation des ménages n’a pas été affectée ; ce ralentissement s’explique avant tout par la faible constitution des stocks et par la hausse des importations.

Dans quelle mesure cette hausse persistante des prix pénalise les actions ?

La hausse des prix pénalise les entreprises qui ne parviennent pas à conserver leur marge bénéficiaire en répercutant la hausse de leurs coûts sur les prix de vente. Cette hausse des prix pousse également les taux d’intérêt à la hausse, ce qui pénalise les entreprises dont l’endettement est élevé. Les entreprises technologiques sont également touchées car une hausse des taux rend moins valorisable les bénéfices attendus dans un futur lointain. Dans un contexte où le pouvoir d’achat des ménages est rongé par le renchérissement du coût de la vie, la clé est de pouvoir conserver ses marges bénéficiaires, voire de les faire progresser. Les entreprises qui y parviennent détiennent du « pricing power » ; elles disposent d’une capacité à répercuter sur leur client tout ou partie de la hausse des prix qu’elles ont elles-mêmes subie.

La seule manière de tirer profit de ce « pricing power » est de rester investi en actions. Comme indiqué dans le tableau ci-dessous, ce sont les actions de qualité qui offrent la protection la plus solide contre l’inflation sur le long terme. Aucun autre actif ne bat les actions sur le moyen terme et long Terme : ni l’or, ni les matières premières, ni l’immobilier, ni même les obligations indexées sur l’inflation.


En considérant les données historiques les plus longues en notre possession, qui incluent les gains en revenus, les actions américaines du S&P500 ont rapporté 8,53% par an après inflation, hors frais de courtage et de gestion. Toutes les autres classes d’actifs sont loin derrière. Les obligations américaines à 30 ans indexées sur l'inflation ont offert un rendement annualisé de 5,71%. L’or “physique”, en lingot, rapporte du 3,45% par an, sans même tenir compte des coûts de stockage. Les matières premières ? 2,67%. La “brique” aux États-Unis ? 1,54% par an.

En quoi les orientations de politique monétaire par les banques centrales influencent-elles les rendements boursiers ?

La persistance de taux d’inflation élevés a conduit les autorités monétaires à changer de cap, en particulier aux Etats-Unis. L’invasion de l’Ukraine par la Russie aura constitué l’élément déclencheur. Elle a forcé la Réserve fédérale américaine à reconnaître que le niveau élevé de l’inflation ne pouvait plus être considéré comme transitoire. C’était pourtant son credo durant la majeure partie de 2021, en dépit de la plus forte hausse des prix enregistrée depuis le début des années 1990.

La Réserve fédérale a logiquement lancé son cycle de resserrement monétaire en mars avec une hausse des taux de 25 points de base, portant la fourchette cible du taux des fonds fédéraux à 0,25 % jusque 0,50 %. Les responsables monétaires ont également indiqué leur intention de ne plus pousser les taux d’intérêt à la baisse en achetant des actifs financiers, dont des obligations gouvernementales. Le président Jerome Powell a même indiqué en mars que des hausses de taux d’intérêt de 50 points de base étaient très probables dans l’objectif d’accélérer le durcissement des conditions monétaires. Les anticipations dans le marché indiquent que la Réserve fédérale aux Etats-Unis pourrait même monter son taux directeur à six reprises en 2022, pour le porter à 1,75%.

La modification du taux directeur permet de contrôler l’activité économique d’un pays. Quand la situation économique se dégrade, comme durant la crise financière en 2008 ou la crise sanitaire en 2020, les banques centrales baissent leur taux directeur pour tenter de relancer l’économie et encourager la prise de risque. Lorsque l’argent est accessible et “bon marché”, autrement dit qu’il ne coûte pas cher à emprunter, cela encourage les consommateurs à dépenser davantage, les entreprises à investir, et les épargnants à faire fructifier leurs capitaux dans des projets plus risqués et plus rémunérateurs.

Quand l’économie va mieux et que l’inflation est plus élevée, la banque centrale augmente le taux directeur pour réduire la circulation d’argent. Lorsqu’emprunter coûte plus cher, les consommateurs et les entreprises peuvent moins dépenser. La demande de biens et services, qui était trop forte par rapport à l’offre, tend alors à se réduire. Quant aux épargnants, au fur et à mesure que les taux montent, ils sont davantage incités à placer leurs capitaux dans des instruments à taux fixe, comme l’assurance vie ou les obligations, dont le rendement est moins aléatoire que celui des actions. La demande de titres risqués, comme les actions, a donc tendance à se tasser face à l’offre.

Faut-il alors investir dans les obligations même lorsque les taux montent et que le risque de récession est plus élevé ?

C’est effectivement une constatation historique. Même si la relation entre actions et obligations n’est pas mécanique, on peut néanmoins identifier des dynamiques qui se mettent en place au cours du temps lorsque les taux d’intérêt remontent. Dans un premier temps, lorsque le mouvement de hausse des taux s’amorce, les obligations perdent de la valeur, mais les investisseurs peuvent ensuite se détourner des actions en faveur des obligations lorsque les taux commencent à se stabiliser et que les nouvelles obligations émises affichent un rendement plus élevé. Les obligations gagnent alors en attractivité puisqu’elles sont moins risquées que les actions et peuvent offrir en moyenne un rendement supérieur à celui des actions, qui est plus aléatoire, en particulier lorsque le risque de récession devient tangible. Les flux sont alors plutôt vendeurs du côté des actions. Cela s’explique par un accès au crédit plus difficile pour les entreprises qui financent leurs projets d’investissement par l’emprunt. Les entreprises à forte croissance sont également pénalisées car la valorisation de leurs bénéfices attendus dans un futur plus lointain chute plus fortement lorsque les taux montent.

Par conséquent, un cycle de hause des taux sur l’évolution des marchés d’actions entraîne plutôt des conséquences négative sur les actions. C’est d’ailleurs le scénario qui se déroule sous nos yeux depuis le début de l’année, mais ce lien entre hausse des taux d’intérêt et baisse des cours boursiers n’est pas systématique. Par exemple, la hausse des taux aux alentours de 2005 et de 2019 s’est accompagnée d’une hausse du marché des actions. Ce fut l’inverse en 1984 ou 1988.

Comparaison n’est pas non plus raison. La situation que nous traversons actuellement est assez unique : le marché obligataire souffre tout autant que le marché des actions pour la simple raison que les obligations n'ont jamais été aussi chères. Il y a encore quelques mois, les taux d’intérêt négatifs constituaient la norme en Europe. Lorsque les investisseurs comprennent que de nouvelles obligations vont offrir des rendements plus élevés que celles qu’ils détiennent, ils vendent jusqu’à ce que les taux d’intérêt se stabilisent. Plus les obligations sont chères au départ, plus ce cycle baissier peut perdurer.

Il ne faudrait pas noircir le tableau pour autant. Même dans le cas extrême d’un portefeuille investi exclusivement en actions, les récessions, qui accompagnent souvent les hausses de taux, sont bien moins douloureuses qu’on ne le pense à condition de garder patience et d’être bien diversifié. Imaginez que vous êtes vraiment malchanceux et que vous investissez à chaque fois dans le S&P 500 au début de la récession pour vendre juste à la fin. En considérant les 15 récessions identifiées entre 1929 et 2022 par le Bureau national de recherche économique aux États-Unis, votre rendement annualisé aurait été positif dans 40% des cas mais négatif en moyenne, égal à -4,78%, comme indiqué dans le tableau ci-dessous. Néanmoins, le rendement annuel moyen passe en territoire positif rapidement, soit 1,95% et 3,38% trois et cinq ans après la fin de la récession respectivement.