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Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage par Mikael PETITJEAN

<b>Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage </b>par Mikael PETITJEAN
23/08/2022

Grand admirateur du moraliste François de La Rochefoucauld, célèbre pour ses « Maximes », Jean de La Fontaine avait trouvé sa principale source d’inspiration dans les centaines de fables animalières qu’Esope avait rédigées en grec ancien au 7ème siècle avant J.C. Dans sa fable sur le lion et le rat qui ne contient que 18 vers, La Fontaine nous rappelle que la patience et le temps long sont d’une plus grande utilité que la force ou la rage. Fabuliste inégalé, il aurait pu être un excellent conseiller en gestion patrimoniale. A la force militaire et à la rage de vaincre, il faut y opposer patience et temps long.

Quelle exigence néanmoins, car l'invasion de l'Ukraine était l’une des pires cartes à tirer sur le plan géopolitique. Fait aggravant, elle est intervenue à un moment très sensible, alors que le prix des matières premières avait déjà progressé de 38 % en 2021 et que les marchés financiers digéraient à peine le resserrement monétaire annoncé par les banques centrales. Durant le deuxième trimestre de 2022, les investisseurs ont dû faire face à l’enlisement du conflit armé en Ukraine, l’absence de solution diplomatique à court terme, une nouvelle progression des taux d’inflation, une hausse des taux d'intérêt plus rapide et plus forte que prévu, et enfin un risque plus élevé de récession. Même le titan Atlas aurait courbé l’échine.

Alors que les actions mondiales avaient clôturé le premier trimestre en baisse de 5,04 % sur une correction, somme toute, raisonnable au vu des événements que nous traversions, elles ont dévissé de 16,05 % au cours du deuxième trimestre, dividendes compris. Sur les deux premiers trimestres de 2022, l’indice « MSCI World » a chuté de 20,29 %, alors qu’il avait progressé de 22,35 % en 2021. Les deux premiers trimestres de cette année auront contribué à effacer la quasi-totalité des gains enregistrés sur toute l’année 2021.

Chez Waterloo Asset Management, il y a un indicateur que nous suivons particulièrement : le « maximum drawdown ». Sur le S&P500, il est actuellement de -24%. Il mesure la perte maximale observée entre le dernier pic du 4 janvier 2022 et le creux actuel du 16 juin. En remontant jusqu’en 1928, il s’agit de la 9ème plus grosse correction de l’après-guerre. Les marchés ont effectivement courbé l’échine mais ils tiennent. Le rebond depuis le 16 juin est actuellement de 16% environ, et efface le douloureux second trimestre de cette année. S’il y a des circonstances dans lesquelles la patience paie, ce sont bien celles-ci.

Pour autant que l’allocation de votre portefeuille corresponde au risque que vous êtes prêt à supporter, ne vendez jamais lorsque la meute vous annonce la fin du monde. Cela exige beaucoup de discipline car l’homo economicus, mu par la peur et l’appât du gain, descend plutôt du mouton. Il préfère suivre le troupeau emmené par les prophètes de malheur qui se disputent le rôle de grand berger devant l’éternel, à coup de grandes déclarations, toutes plus apocalyptiques les unes que les autres. A quoi bon nous rappeler que nos jours sont comptés ? Il conviendrait plutôt de les compter dans le temps long, en particulier lorsque le pessimisme est à son comble.

Est-ce à dire que l’avenir s’annonce radieux ? Ce serait tomber dans l’excès inverse et y opposer l’eschatologie marxiste du « grand soir » et des lendemains qui chantent. Personne ne peut dire ce qui va se passer dans les six mois à venir étant donné la situation géopolitique actuelle. Force est de reconnaître néanmoins que les marchés sont extraordinairement résistants. L’inflation estimée entre le pic et le creux actuels est de 13,44 %. C’est un record absolu. Elle avait été de 7,30 % entre le pic et le creux de la grande correction boursière des années 1970 qui avait duré 7 ans, entre le 8 janvier 1973 et le 17 juillet 1980. Dans ces conditions, le resserrement de la politique monétaire est inévitable et il ne s’arrêtera que si la conjoncture se dégrade plus rapidement que prévu. En réalité, la croissance réelle du PIB entre le pic et le creux de la correction actuelle est déjà négative, soit - 1,29%. Sur la base des 10 plus grosses corrections de l’après-guerre, ce ne fut le cas que lors du choc du Covid entre février et mars 2020 et durant la crise financière, entre octobre 2007 et mars 2009. Ce choc négatif sur la croissance est plutôt une bonne nouvelle car il favorisera un retour à la normale des taux d’inflation, dans une conjoncture mondiale qui va y contribuer de toute manière.

A vrai dire, la seule certitude dans ce « bas monde » est que les actions constituent le meilleur barrage contre la perte de valeur de la monnaie. Aucun autre actif ne bat les actions sur le moyen terme : ni l’or, ni les matières premières, ni l’immobilier, ni même les obligations indexées à l’inflation. En considérant les données historiques les plus longues en notre possession, qui incluent les gains en revenus, les actions US du S&P500 ont rapporté 7,54 % par an en monnaie locale, après inflation, hors frais de courtage et de gestion. Toutes les autres classes d’actifs sont loin derrière. Les obligations américaines à 30 ans indexées à l'inflation ont offert un rendement annualisé de 3,56 %. L’or « physique », en lingot, rapporte du 3,32 % par an, sans même tenir compte des coûts de stockage. Les matières premières ? 3,04 %. Celles liées à l’énergie ? 2,15 % par an. La « brique » aux Etats-Unis ? 1,65 % par an. Ce n’est pas la crise actuelle qui changera ces écarts.

"Patience, patience, patience dans l'azur ! Chaque atome de silence est la chance d'un fruit mûr", écrivait Paul Valéry. De La Fontaine à lui, il n’y a qu’un petit saut dans le temps long : deux siècles extraordinaires, dont celui des Lumières.

Mikael PETITJEAN, Professeur à l’IESEG et la Louvain School of Management (UCLouvain), Chief Economist chez Waterloo Asset Management.