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Nos perspectives économiques pour 2020 Par M. Petitjean

Nos <b>perspectives économiques pour 2020</b> Par M. Petitjean
09/01/2020

La peur est souvent un plus grand mal que le mal lui-même.

Cette phrase résume le principal enseignement qu’il convient de tirer de l’année 2019. Elle fut écrite au XVIe siècle par François de Salle, théologien savoyard. C’est à 19 ans que le concept de prédestination déclencha chez lui une angoisse profonde. Pendant dix longues semaines, il s’imagina prédestiné à l'enfer. Il se rendit alors affolé dans une église dominicaine et pria jusqu’à se sentir entièrement libéré de sa peur.

Je ne suis pas théologien et ma recommandation pour 2020 ne sera pas celle de prier dans l’espoir de nous libérer de peurs que nous connaissons tous. J’invite plutôt les investisseurs à garder leur sang-froid. Résister à la peur rapporte d’autant plus que la volatilité sur les marchés est élevée.

Beaucoup trop d’investisseurs sortent du marché alors que les cours ont déjà bien baissé et ils y retournent lorsque les cours ont déjà bien remonté. L’année 2019 en est le parfait exemple. Elle avait débuté sous de sombres auspices. La quasi-totalité des grands indices avaient terminé l’année 2018 dans le rouge, enregistrant souvent des pertes de plus de 15 %. Le BEL20 avait connu en 2018 la cinquième plus mauvaise année de son histoire, mais le mois de janvier 2019 fut le meilleur depuis plus de vingt ans. Au bout du compte, l’année 2019 fut un très bon cru. 

Faut-il en conclure que les marchés connaissent à nouveau une bouffée d’exubérance irrationnelle ?

Les risques géopolitiques n’ont effectivement pas disparu : la japonisation des économies en Europe, les élections américaines qui pourraient surprendre les marchés, le ralentissement de la Chine et la propagation des tensions sociales qu’elle pourrait induire à l’intérieur du pays, la montée en force des blocs commerciaux autour de la Chine et des États-Unis, la persistance de taux bas qui favorise les bulles, la montée des populismes et des violences urbaines, le nucléaire iranien, le risque de cyberattaques sur les infrastructures critiques, et j’en oublie très certainement. Je fais confiance à mes collègues universitaires pour écrire des livres épais sur chacun de ces thèmes en 2020. 

La volatilité est actuellement très faible et elle ne pourra pas rester à un tel niveau durant l’année 2020. C’est inévitable. Aux États-Unis, l’écart entre les taux d’intérêt à 3 mois et à 30 ans est également faible, ce qui signale à terme un ralentissement économique, voire une récession. Et il faudra bien qu’une récession aux États-Unis ait lieu. La dernière récession avait pris fin en 2009, il y a plus de 10 ans. C’est un record. De nombreux économistes, dont Nouriel Roubini, le célèbre « Docteur Malheur » de l’Université de New York, prédisent une récession en 2020. Il y a 5 mois, 70 % des économistes prédisaient une récession avant la fin de 2021. C’est effectivement probable. Mais la question n’est pas de savoir s’il y aura une récession ou quand elle interviendra. Cela importe peu, d’autant plus que l’identification des récessions par le Bureau national de la Recherche aux États-Unis est souvent très tardive : combien de fois avons-nous appris que l’économie américaine était en récession alors que nous y étions déjà ? Quand une récession est officiellement annoncée, il est déjà trop tard pour agir.

La véritable question est de savoir comment nous devons nous comporter dans de telles circonstances.

Prenons l’hypothèse la plus conservatrice. Imaginez que vous n’êtes pas chanceux et que vous investissiez 100 euros juste au début de la récession. Est-ce l’apocalypse ? Absolument pas. Dans la majorité des cas, votre capital est supérieur à 100 euros à la fin de la récession et le rendement moyen est égal à 4.71% par an si l’on considère toutes les récessions de 1929 à 2009 . Trois ans après la fin d’une récession, le rendement moyen par an est de 8,89% et il ne reste que deux récessions qui n’ont pas été « digérées », les plus anciennes : celles de 1929 et 1937. Enfin, 5 années après la fin de la récession, il ne reste plus que celle de 1929. Qui plus est, le rendement que vous auriez obtenu en investissant 100 euros au pire moment, soit juste au début de chacune de ces récessions, est égal à 9,76% par an en moyenne. Même si je ne suis pas théologien, on est plus proche du paradis que de l’apocalypse, me semble-t-il. 

Dans ces circonstances, quel rendement devons-nous anticiper en 2020 ?

À cette question, je ne répondrai jamais. Ceux qui y répondent sans y être contraints sont des charlatans et ceux qui, par obligation professionnelle, doivent participer à ces concours de pronostic pathétiques sont de médiocres prévisionnistes. En considérant la performance annuelle historique du S&P500 depuis 1928, il existe 2 chances sur 3 que le rendement enregistré à la fin de l’année 2020 soit positif. C’est tout ce que je m’avancerai à dire. La plupart des grandes banques prévoient un rendement positif, sauf Morgan Stanley. Les banques Crédit Suisse, JP Morgan et Goldman Sachs sont les plus optimistes. Faut-il en conclure que Morgan Stanley a raison ? Ce serait commettre une nouvelle erreur. « Ne vous laissez pas influencer par ce que font les autres », écrit Warren Buffett. Il ajoute : « aller à l’encontre de ce que les autres pensent n'est pas la clé et penser comme la foule ne l’est pas non plus. Vous devez avant tout vous libérer de vos émotions » parce que « la qualité la plus importante pour un investisseur est son tempérament, pas son intellect ». C’est une autre manière de vous inviter à garder votre sang-froid. La boucle est bouclée.

Excellente nouvelle année à tous. Elle nous réservera encore des surprises : c’est d’ailleurs la seule certitude en matière boursière.

Mikael PETITJEAN, professeur de finance à l’IESEG School of Management et à la Louvain School of Management, membre du comité d’investissement de Waterloo Asset Management.