Le blog de Jean Blavier

L’épargne, ça peut coûter cher. Votre stratégie anti-taux d’intérêt plancher. Par J. Blavier

<b>L’épargne, ça peut coûter cher.</b> Votre stratégie anti-taux d’intérêt plancher. Par J. Blavier
18/12/2020

Si vous aviez gagné les 200 millions de l’Euromillions, que feriez-vous de cet argent ? Quittez les sentiers battus. Et écoutez ce que vous dit votre conseiller.

Imaginons que le Français de la baie d’Arcachon qui a remporté la cagnotte des 200 millions l’autre semaine, ce soit… vous ! C’est purement théorique, mais illustratif : ces 200 millions placés sur un compte d’épargne classique, cela donne après un an, dans le meilleur des cas*, 0,05 % d’intérêts de base et 0,55 % de prime de fidélité, soit un total de 0,60 % ou 1,2 million d’euros. Une somme rondelette, mais un placement négatif parce que dans le même temps, avec une inflation de 0,83 % (calculée par Statbel au 30 novembre dernier), les 200 millions que vous avez placés ont perdu 1,66 million en pouvoir d’achat. Bref, après avoir placé votre argent pendant un an sur un compte d’épargne, vous avez perdu 0,46 million ou 460.000 euros.

*En réalité pour des montants supérieurs à 3 millions d’euros, la majorité des banques appliquent
des taux d’intérêts négatifs de l’ordre de 0,3 à 0,5%.

Il y a pire. Si ces 200 millions avaient été placés en obligations linéaires (OLO) à 10 ans de l’Etat belge, ils vous auraient, non pas rapporté, mais coûté 0,7 million d’euros (700 milliers d’euros) pour la bonne raison qu’actuellement le taux des emprunts de l’Etat belge à 10 ans est négatif : - 0,35 %. Ajoutez-y, ou plutôt retranchez-en les 0,83 % d’inflation dont question plus haut et le bilan de l’opération se solde par une perte de 2,36 millions d’euros.

Continuons notre feuilleton financier. C’est toujours théorique, mais encore plus illustratif : si ces 200 millions avaient été placé en Bourse de Bruxelles le 1er janvier dernier, lorsque le Bel 20 était à 3.990 points, vous aviez déjà, au 14 février, gagné 4,88 % ou 2,44 millions d’euros. Pas mal, non ? Hélas, à la mi-mars, la 1ère vague de la Covid-19 a fait plonger le Bel 20 à 2.732 points, ce qui se solde pour vous par une perte de 31 % ou 625 millions d’euros. Là, ça fait mal, très très mal. Heureusement pour vous, le Bel 20 s’est redressé par la suite. Imaginons maintenant que vous ayez eu la préscience ou le courage (ou les deux) à la mi-mars de retirer les 200 millions que vous placés sur compte d’épargne pour les investir en Bourse, vous auriez gagné aujourd’hui 33,96 % ou 67,92 millions. Avouez que cet exercice d’arithmétique donne le tournis, bien qu’il soit purement théorique. Personne ne place 200 millions d’euros sur un compte d’épargne, personne ne place la totalité de son avoir en Bourse et personne ne dispose de la boule de cristal dans laquelle lire que le 13 mars dernier le Bel 20 avait atteint un plancher pour cette année.

D’où viennent ces taux négatifs ?


Un peu d’histoire, même récente, suffit parfois à éclairer bien des choses. En guise de prologue, sachez cependant que les taux négatifs, ce n’est pas normal. C’est une déviance du système. Il faut en chercher l’origine outre-Atlantique, lors de la crise des subprimes, ces prêts hypothécaires américains que l’on peut qualifier de pourris non seulement parce que techniquement ils l’étaient, mais surtout parce qu’ils nous pourrissent la vie depuis plus de dix ans. En 2005, la Réserve fédérale, la banque centrale américaine, décide de relever ses taux directeurs. Ça s’était déjà vu, en 1994 et en 1999 notamment. Jusque là donc, rien d’anormal. Sauf qu’à l’époque des millions de ménages américains aux revenus faibles à moyens avaient souscrit des prêts hypothécaires à taux variable. La hausse des taux hypothécaires due à la décision de la banque centrale les a noyés et a provoqué une crise financière énorme. Dès la mi-2007, la Federal Reserve change son fusil d’épaule et fait plonger ses taux directeurs. En 2009, elle en rajoute une couche et décide, à l’étonnement général, de mener une politique monétaire « non conventionnelle ». Comment ? En achetant des emprunts d’Etat pour faire baisser les taux, pour faire monter la Bourse et créer de la richesse pour relancer l’activité économique. Disons les choses comme elles sont : les autres banques centrales, à commencer par la Banque centrale européenne (BCE), étaient médusées, épastrouillées, devant la mise en place de cette technique baptisée quantitative easing, en français assouplissement quantitatif. Ce qui ne les a pas empêchées, BCE, puis Banque d’Angleterre, Banque du Japon, de faire de même quelques années plus tard. Avec pour résultat un écrasement de la courbe des taux d’intérêt.

En fait, l’apparition des taux négatifs n’est rien d’autre qu’une conséquence de cette bonne vieille loi de l’offre et de la demande. La politique menée par les banques centrales a eu pour effet de générer des liquidités en quantités énormes. Des liquidités qui auraient dû être investies prioritairement dans le crédit aux entreprises et aux ménages pour relancer la machine économique. Hélas, deux facteurs ont joué dans le mauvais sens, le contexte conjoncturel peu porteur et la financiarisation de l’économie occidentale. Les détenteurs de ces énormes quantités de liquidités ont préféré les réinjecter sur les marchés financiers, ce qui a fait monter les marchés boursiers (le Dow Jones était à 10.000 points en 2010, il est à plus de 30.000 points aujourd’hui) et provoqué une ruée vers les emprunts d’Etat. Des Etats généralement endettés jusqu’au cou qui n’en demandaient pas tant : leurs émissions partaient comme des petits pains. Ils n’ont fait qu’appliquer la loi de l’offre et de la demande, comme on la voit jouer dans un marché parfait ou dans les bouquins d’économie : « à 2% sur 10 ans, vous en voulez encore ? A 1,5% aussi ? » Et ainsi de suite, jusqu’à proposer, comme le fait actuellement la Belgique, un taux de -0,35 % sur 10 ans. L’effet rareté a fonctionné à plein, la machine infernale était lancée.

Les Etats gagnants


On a coutume de dire que le suicide du rentier, une expression épouvantable pour dire l’effet de la baisse des taux sur la rémunération de l’épargne, sur les emprunts d’Etat et donc sur le rendement des contrats d’assurance vie et des fonds obligataires, est compensé par des discounts inespérés sur le coût du crédit. C’est vrai en théorie. En pratique, ce l’est moins. La baisse des taux hypothécaires a surtout amené des milliers de jeunes emprunteurs à renégocier deux, trois, quatre fois les conditions de leur prêt, ce qui n’est ni gratuit, ni porteur pour le secteur financier. Elle a aussi eu pour effet de faire monter les prix du logement, lesquels ont explosé dans notre pays (en moyenne + 10 % en 4 ans). Il y a donc un risque de bulle. La Banque nationale de Belgique (BNB) a senti le vent du boulet, elle a fini par crier au loup, ce qui a amené les banques à se montrer plus restrictives et, in fine, le gouvernement flamand à supprimer le woonbonus, c’est-à-dire les avantages fiscaux du crédit au logement. La Région de Bruxelles-Capitale et la Wallonie ont suivi, mais en adoptant d’autres modalités (baisse des droits d’enregistrement et chèque-habitat). Il y a mieux quand on veut créer de la richesse.

Les taux négatifs sont une véritable saignée pour l’épargnant, mais pour les Etats c’est une aubaine. La Belgique a vu sa dette publique, qui était de 100 % du PIB (produit intérieur brut) en 2018, grimper à 115 % à cause de la crise sanitaire et de ses désastreuses conséquences sur l’économie. On n’ose pas imaginer ce que cet endettement aurait coûté si les taux des emprunts d’Etat à 10 ans étaient proches de leur moyenne historique, soit 1,14 %.

Revenons à nos placements. Tous les rentiers ne sont pas suicidaires. La fonte des revenus concerne surtout ceux qui investissent en placements à revenu fixe, comptes d’épargne, contrats d’assurance vie, obligations et fonds obligataires. Et encore. Il y a des obligations à haut rendement, plus risquées certes, mais avec une bonne diversification la plupart des gestionnaires de fonds obligataires parviennent à limiter les dégâts et même à dégager un rendement positif.

Modeste, mais positif. Par contre, ceux qui ont fait le pas d’investir à Wall Street par exemple (ou en valeurs immobilières) s’en sortent plutôt bien. Attention toutefois au danger que recèle la visibilité sociale du succès en Bourse : il génère une propension croissante à accepter une augmentation du risque en échange d’une rémunération plus élevée dont on oublie qu’elle est potentielle. C’est un danger parce que c’est faire fi de ce qui constitue la base même de tout placement : quel est mon profil de risque ? Quel est mon horizon temporel ? La réponse à ces deux questions est stratégique, elle doit émerger avec les conseils d’un professionnel. La Bourse, ce n’est pas un substitut au compte d’épargne qui donne 2 à 3% de rendement sur dividende. Si en 2019 le Bel 20 était un TGV, en 2018 c’était un TGV en grève, début 2020 c’était un TGV sur une voie de garage, puis contraint de faire machine arrière. Depuis le printemps, le train a retrouvé sa vitesse de croisière, mais, osons le dire, à l’étonnement général. L’année boursière 2020 sera bénéficiaire (en moyenne) alors que tout indiquait qu’elle serait catastrophique.

Pour le moment, nous flottons quelque part dans une zone grise : certains résistent, d’autres ont le moral dans les talons, sont en burn-out ou carrément en faillite. Ce n’est que lorsque nous serons tous vaccinés que l’on fera les comptes de cette crise sanitaire. Ils seront pénibles, il faudra penser les plaies et on ne peut qu’espérer qu’il n’y ait pas un assèchement des liquidités. Avec une dette publique de 115 % du PIB, ce serait tout simplement sanglant sur le plan fiscal. Et vos placements ? Le meilleur investissement que vous puissiez faire, c’est dans le talent de votre conseiller.

Jean Blavier.