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Pourquoi se soucier de la dette, même aujourd’hui ? par M. Petitjean

<b>Pourquoi se soucier de la dette, même aujourd’hui ?</b> par M. Petitjean
27/01/2021

Reconnaissons-le immédiatement : les débats sur la dette enflamment systématiquement les passions. Entre conservateurs ordo-libéraux et néo-monétaristes progressistes, les invectives fusent. La situation est pourtant assez claire. Résumons-là en quelques points.

Un,

la « dette Covid » n’est pas une dette comme les autres, qu’on le veuille ou non. Cette dette est actuellement « monétisée » par la BCE qui achète irréversiblement les obligations souveraines des Etats de la zone euro, les « annulant » en quelque sorte contre de « la monnaie ». Dans la zone euro actuellement, les encours de dette du secteur public détenu par la Banque Centrale représentent 25% du PIB (valeur), alors qu’ils étaient quasi-nuls en 2010. Cette « (r)évolution monétaire » s’est réalisée parallèlement à un gonflement inédit des réserves bancaires dans le bilan de la BCE ce qui a permis de neutraliser l'impact sur l'inflation puisque la composante de la base monétaire liée à la monnaie injectée directement dans le circuit économique, sous la forme de billets et pièces de monnaie en circulation, a beaucoup moins augmenté.

Deux,

cette « dette Covid monétisée » des Etats de la zone euro, détenue par leur banque centrale respective pour le compte de la BCE, est actuellement et de facto équivalente à une dette perpétuelle « sans paiement d’intérêt » pour deux raisons. Tout d’abord, la BCE reverse ses profits aux États, que les taux montent ou baissent, sauf dans quelques cas très spécifiques. Ensuite, lorsque cette dette arrive à échéance, la BCE en achète une autre : elle n’en exige pas le remboursement ; elle la « roule ». Tant que la BCE ne réduit pas la taille de son bilan, l’obligation achetée est donc « gratuite » et n’est pas remboursée. A l’heure actuelle, le problème de la crise des dettes publiques ne se pose pas puisque la « dette Covid » est de facto annulée. C’est la raison pour laquelle les discussions sans fin concernant son annulation ou son cantonnement visant à la séparer du reste de la dette publique, sont vaines.

Trois,

dans de telles circonstance, les Etats de la zone euro, confrontés à une récession de grande ampleur, ont intérêt à accroître leur déficit public puisqu’il est de toute façon monétisé par la Banque Centrale qui « écrase » les primes de risque et empêche une nouvelle crise des dettes publiques, comme entre 2010 et 2014.

Quatre,

cette stratégie est justifiée sur le plan empirique à partir du moment où il n’y a plus de corrélation forte observée entre augmentation de l’offre de monnaie et (hyper)inflation. C’est effectivement le cas depuis plusieurs décennies. L’explication est que les variations revenu (en valeur) sont moins associées à une augmentation de la demande de monnaie (au sens large) nécessaire à l’achat de biens et de services. Autrement dit, les acteurs économiques se détournent de la monnaie au profit d’autres actifs, comme l’immobilier, les actions, les obligations, etc. La dernière décennie semble corroborer cette hypothèse.

Cinq,

cette dynamique peut fonctionner ad vitam aeternam via un gonflement de la taille du bilan de la BCE, à condition que les acteurs gardent confiance dans les actifs qu’ils détiennent, même en cas de correction subite et forte sur les marchés, et dans leur monnaie s’ils décident de thésauriser en cas de choc.

Six,

c’est le propre de l’insensé de spéculer sur la confiance éternelle des marchés financiers. Suivre cette stratégie ad vitam aeternam, c’est la garantie qu’un jour ou l’autre, une crise, endogène ou exogène, viendra appauvrir les acteurs économiques à un point tel qu’ils se tourneront vers une valeur refuge qui pourrait même ne pas être une monnaie classique.


A l’heure actuelle, la dette n’est pas un problème car la crédibilité de la BCE vaut certainement celle des autres banques centrales. Mais qui peut raisonnablement garantir que ce sera encore le cas dans 20 ans si les politiques monétaires et budgétaires viennent à diverger dans le monde ? Car « la dette post-Covid » devra être financée : les décisions prises aujourd’hui génèreront des déficits publics durables à partir de 2022 et au-delà, qui eux devront être financés par la dette.

Qui peut dès lors affirmer haut et fort que « cette fois, c’est différent », que le temps des « vieilles » théories monétaires est définitivement révolu ? Il est de notre responsabilité de ne spéculer ni avec la confiance, ni avec le temps. Dans le temps court, tout est possible, même la fixation d’un objectif de croissance nominale, mais le temps long se décide aussi dans le temps court. C’est la raison pour laquelle nous devrions parallèlement nous inspirer d’une loi de rigueur budgétaire, comme en Allemagne qui ne se rêve pas en paradis sur terre. « Quand l'homme essaye d'imaginer le Paradis sur terre, ça fait tout de suite un Enfer très convenable. », écrivait Paul Claudel.

Dr. Mikael PETITJEAN, CAIA, FRM
Associate Professor, IESEG & Louvain School of Management
Chief Economist, Waterloo Asset Management