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Le marché des actions ne souffre pas d’exubérance irrationnelle - par M. Petitjean

<b>Le marché des actions ne souffre pas d’exubérance irrationnelle</b> - par M. Petitjean
08/11/2019

La situation géopolitique a sensiblement évolué depuis plusieurs semaines. Le Brexit revient pourtant constamment sur la table de notre petit-déjeuner. On arriverait même à le confondre avec le pot de marmelade d’oranges amères dont les Anglais raffolent tant. En réalité, cette accoutumance est une bonne nouvelle. Boris Johnson n’a pas changé la donne et Nigel Farrage ne fera aucune différence sur le fond.

Quel que soit le résultat des élections de décembre, l’accord de principe existe déjà et il n’y aura pas de sortie sans accord dans les faits. Ces élections ne changeront rien aux négociations sectorielles du Brexit qui devront irrémédiablement avoir lieu, ou au temps que les fonctionnaires européens devront encore consacrer à ce dossier dans l’avenir. A moins qu’un second référendum n’ait lieu. Cette probabilité reste très faible mais il constituerait une opportunité plutôt qu’une menace pour le marché des actions. Il n’y a en effet aucune raison de penser qu’un « oui » serait accueilli plus défavorablement qu’un « non » qui ne changerait rien à la situation actuelle.

Le véritable risque à plus ou moins long terme pour la zone euro n’est pas là :

il est dans l’incapacité de ses Etats membres de respecter les règles européennes adoptées en 2012, qui imposent à juste titre un déficit structurel inférieur à 0,5 point de PIB. Sans une plus grande harmonisation des politiques budgétaires, la zone euro restera bancale. La politique monétaire ne pourra pas éternellement viser un objectif d’inflation raisonnable tout en solvabilisant des Etats dont les politiques budgétaires sont trop souvent populistes. L’Allemagne a résisté à cette tentation. Certes, elle a réalisé des excédents commerciaux et budgétaires grâce aux relations qu’elle a tissées avec les autres Etats membres mais personne ne peut raisonnablement lui reprocher d’avoir réussi à tirer profit pendant des années d’une croissance mondiale forte. Son industrie, qui repose sur l’automobile, les biens d’équipement industriel et la chimie, lui aura rendu de très grands services, notamment grâce des salaires et des gains de productivité plus alignés que dans le reste de l’Europe. L’Allemagne n’a pas vécu au-dessus de ses moyens et elle se donne aujourd’hui les moyens de se réinventer. Le fort ralentissement économique qu’elle traverse actuellement augmente la probabilité de desserrer les cordons de la bourse. Tant mieux pour l’Europe et les marchés, qui ont également accueilli favorablement la constitution d’un nouveau gouvernement en Italie.

Du côté outre-Atlantique, Trump se tourne incontestablement vers les élections et désire se présenter devant ses électeurs comme un « dealmaker ».

En réalité, les droits de douane mis en place et annoncés par Trump ne représentent que 150 milliards de dollars, soit 0,15% du PIB mondial. Ce sont des facteurs de second ordre. La baisse des importations chinoises est liée à un facteur plus fondamental : la transformation lente mais certaine de son économie, qui se tourne davantage vers le secteur des services : le tourisme, les loisirs, la culture et le secteur HoReCa. La baisse des importations est mécanique dans ces circonstances ; elle provient d’une demande intérieure moins « capitalistique », moins consommatrice de produits industriels ou de matières premières. La Chine se dirige irrémédiablement vers des taux de croissance de 3 à 4%. Il est impossible de faire mieux avec une population qui vieillit aussi vite. On ne peut pas déifier la loi de la gravité économique, quelle que soit la nature des « tweets » du président des Etats-Unis. La marge de progression en Chine reste néanmoins considérable : son PIB par tête est d’environ 9000 dollars contre 60000 aux USA, alors que la Chine compte désormais 100 millions de Chinois millionnaires, soit 1 million de plus que les Etats-Unis.

Globalement, l’aversion au risque a baissé en Europe depuis septembre.

C’est une bonne nouvelle. Les taux sont remontés de plus de 30 points de base, les actions des banques européennes ont retrouvé quelques couleurs et le ratio cours-bénéfice en Europe a gagné 1 point pour atteindre 15, contre 19 environ aux USA. Il y a également un début de rotation des obligations vers les actions, même si les réactions aux révisions des résultats nets à la baisse sont toujours aussi violentes. Cela traduit un clivage assez net dans la structure sectorielle des économies. D’un côté, les secteurs, comme l'aéronautique, le luxe, le tourisme, et l’industrie des soins et services, enregistrent des taux de croissance satisfaisants. De l’autre, la chimie, l’automobile et les biens d’équipement industriel sont en récession et souffrent des évolutions technologiques rapides sous l’effet de contraintes environnementales fortes. A l’image de la Chine, l’économie mondiale devient plus économe en capital, ce qui accentue l’excès d’épargne et maintient les taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas.

Sur un plan purement pragmatique, qui pourrait s’en plaindre ?

La faiblesse des taux d’intérêt permet d’absorber la baisse des marges bénéficiaires en Europe alors qu’elles stagnent aux USA. La hausse des actions s’explique donc par une plus faible aversion au risque et par le niveau historiquement bas des taux d’intérêt. En réalité, Les actions restent bon marché au regard des taux d’intérêt. Pour justifier les valorisations actuelles, il faudrait une remontée rapide des taux qui, en Europe, reste très improbable. La nomination de Lagarde rend ce scénario encore plus surréaliste. Le plus gros risque de remontée des taux est aux Etats-Unis. Si Elizabeth Warren est élue, les taux remonteront plus vite que prévu : une plus forte taxation des entreprises, l’instauration d’un salaire minimum ou d’une assurance santé publique universelle sont des facteurs inflationnistes.

Personne ne peut prédire à l’avance si cette fin d’année sera moins mouvementée qu’en 2018 mais tout le monde devrait s’accorder sur le fait que les marchés ne sont pas exubérants ou irrationnels. Elizabeth Warren pourrait les rendre plus nerveux ? Si elle conduit Donald Trump à tirer sa révérence, c’est un risque que je suis personnellement prêt à supporter.

Mikael PETITJEAN
Membre du comité d’investissement de Waterloo Asset Management